Délibérer pour évaluer les services écosystémiques : quel intérêt ? - INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2016

Deliberating to valuate ecosystem services: What is the interest?

Délibérer pour évaluer les services écosystémiques : quel intérêt ?

Résumé

« Evaluer, c’est déterminer une grandeur et lui attribuer une valeur » (Chevassus-au-Louis et al., 2009, p.130). L’évaluation des biens et services environnementaux s’est développée de pair avec la mise à l’agenda des préoccupations environnementales dans les années 1970. Les services écosystémiques (SE) sont généralement définis comme les bénéfices que les êtres humains dérivent de la nature (MEA 2005). L’évaluation économique des SE poursuit à la fois des visées descriptives (niveau de contribution économique des SE au bien-être), mais aussi prescriptives, via la comparaison entre différentes options de gestion, ou les études d’impacts économiques. L’évaluation des biens et services environnementaux a fait germer de nombreuses questions théoriques et méthodologiques sur la conduite des évaluations économiques. Dans ce cadre, les méthodes d’évaluation délibératives se présentent de plus en plus comme une alternative aux méthodes économiques néoclassiques, formant ainsi deux courants économiques, sans doute plus complémentaires qu’opposés. La doctrine néoclassique, dominante en économie, s’enracine dans une approche utilitariste et anthropocentrique. Les individus sont considérés comme autonomes, dotés d’une rationalité économique visant à maximiser leur utilité, sous les hypothèses d’avoir des préférences préexistantes et une information parfaite sur les biens considérés. Dans ce cadre, la valeur des SE est monétarisable. Ce cadre théorique repose néanmoins sur des hypothèses restrictives qui ont suscité des critiques dans la littérature depuis le début des années 1990, tant dans les domaines de l’éthique et de la philosophie, de la psychologie que des sciences sociales. Soulignant la polysémie du terme « valeur », ces critiques remettent en cause la suprématie de l’utilitarisme, démontrent l’existence de « biais psychologiques » dans les processus de décision et mettent en évidence le caractère socialement construit des préférences individuelles. Cette montée en puissance des critiques dans les méthodes néoclassiques soulève deux problèmes fondamentaux. D’une part, elles ébranlent des hypothèses centrales, remettant en cause la capacité du paradigme néoclassique à décrire le monde correctement. D’autre part, elles questionnent la légitimité de telles évaluations à jouer un rôle prescriptif dans la prise de décision. Cependant, les critiques représentent des pistes d’exploration complémentaires plus qu’elles n’invalident la théorie néoclassique. L’introduction des méthodes délibératives dans le cadre de l’analyse économique illustre cette volonté d’enrichir le cadre de l’évaluation économique, afin de mieux prendre en compte la pluralité des valeurs exprimées par les répondants et participants. La délibération est un « processus au travers duquel un objet est amené à être considéré comme étant évalué ou apprécié » (Kenter, 2014, p.77). A la place d’un choix effectué par les individus « isolés », la délibération est entendue comme un processus social et fait référence l’organisation d’échanges dans un groupe en amont d’une prise de position sur des préférences concernant un objet. Raymond et al. (2014) ont proposé une typologie des méthodes d’évaluation sur un continuum entre les approches instrumentales et délibératives et préconisent l’adoption d’une démarche « pragmatique », conciliant des éléments de chacune des deux méthodes.Le développement des méthodes d’évaluation monétaire délibérative (EMD) procède de ce courant méthodologique qui vise à concilier les deux afin de souligner la richesse des registres d’évaluation des services écosystémiques. Les valeurs accordées par les humains aux biens et services des écosystèmes sont multiformes et occupent une place centrale dans la formation des choix. Il est cependant possible de proposer un cadre d’analyse commun pour les caractériser, notamment en considérant plusieurs niveaux, de l’individu à la société. Les valeurs peuvent être considérées à la fois comme des structures mentales stables et des construits sociaux, résultats de processus dynamiques et de contraintes qui s’appliquent sur les individus au moment de se positionner pour un choix. Les méthodes délibératives forment un ensemble très hétérogène. Les techniques utilisées pour identifier ces différentes formes de valeurs sont variées. Les outils issus de la psychométrie sont généralement utilisés pour identifier les valeurs mentales stables et individuelles et visent à mieux interpréter les consentements à payer ou à recevoir des individus, en cherchant des explications qui permettent de dépasser la simple rationalité économique. Les processus délibératifs sont quant à eux mis en ½uvre pour identifier les valeurs sociales qui entrent en jeu dans l’évaluation des services écosystémiques et permettent de compléter l’étude sur les valeurs par une analyse plus qualitative, qui met en jeu certaines dynamiques sociales qui interviennent dans la discussion. Même si les délibérations sont en vogue dans l’analyse économique, deux tendances se distinguent dans leur application, entre les économistes néoclassiques, qui la voient comme un moyen d’améliorer la qualité du processus de décision utilitariste, et les économistes écologiques, qui voient la délibération comme un processus ouvert, permettant de rendre compte de la pluralité des valeurs. Le cadre des évaluations monétaires délibératives, qui font intervenir simultanément des méthodes d’évaluation instrumentales et délibératives, est cependant encore jeune et hétérogène. Par conséquent la recherche dans ce domaine est encore empreinte de tâtonnements, notamment pour comprendre le rôle de la délibération dans les changements de préférences. Il est donc indispensable de poursuivre les investigations méthodologiques et pratiques en la matière afin d’améliorer la capacité des sciences économiques de l’environnement à répondre aux défis qui se posent à elle.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-02605665 , version 1 (16-05-2020)

Identifiants

Citer

Sylvie Morardet, M. Jourdren, P.E. Cérésil. Délibérer pour évaluer les services écosystémiques : quel intérêt ?. Séminaire de la Zone Atelier Bassin du Rhône : les services écosystémiques pour la gestion des milieux aquatiques : Pourquoi ? Pourquoi pas ?, Jan 2016, Villeurbanne, France. pp.24. ⟨hal-02605665⟩
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