La revue d'anthropologie des connaissances vient de publier un numéro spécial au titre évocateur « De la bergerie au centre de calcul » , qui rend compte de la collaboration étroite qui s'est établie entre agronomes et informaticiens. De fait, les animaux d'élevage ont été « mis en calcul » : à l'instar des humains, ils sont de plus en plus comptés, identifiés, suivis. Jusqu'à une époque récente, les animaux sauvages sont largement restés à l'écart de ce mouvement de rationalisation et d'informatisation. Mais, avec l'accession de la biodiversité au rang de « bien en soi », les voilà, à leur tour, visés : informaticiens et modélisateurs travaillent avec les spécialistes des animaux sauvages pour tenter de connaître les effectifs de ces derniers, leur localisation et, dans certains cas, leur comportement. Or, l'informatisation des animaux sauvages soulève des questions spécifiques. Les animaux sauvages sont fréquemment difficilement observables et tendent à échapper à leurs traceurs, si bien que leur présence, souvent discontinue et incertaine, doit être rendue visible à l'aide de techniques particulières, qui contribuent à la transformation des métiers dans les espaces naturels. En outre, l'extension au sauvage de dispositifs sophistiqués de surveillance et de contrôle longtemps circonscrits aux hommes et aux animaux domestiques, n'est pas sans susciter des réactions, parfois virulentes. Ces réactions émanent à la fois de protecteurs de la nature, soucieux qu'une partie du vivant soit soustraite à l'appétit de connaissance des hommes, de gestionnaires des espaces naturels, qui voient leur attachement aux animaux sauvages modifiés par l'émergence de nouvelles techniques d'observation et de suivi, et d'exploitants et d'usagers de la nature, qui estiment que ces nouvelles techniques occultent des modes de connaissance traditionnels ayant fait leurs preuves. C'est ainsi sur les modalités de l'informatisation des animaux sauvages et sur les réactions qu'elle suscite que portera notre intervention, qui s'appuie sur des enquêtes qualitatives menées au cours des dernières années sur la mise en place d'un suivi scientifique de certaines espèces (le loup et la marmotte notamment) et sur l'évolution des métiers des espaces naturels.