L'incertitude scientifique explique-t-elle la défiance ? Le cas de la réception des résultats du suivi scientifique du loup - INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement Accéder directement au contenu
Rapport Année : 2005

Does scientific uncertainty explain distrust ? The case of the reception of the results of the wolf scientific survey

L'incertitude scientifique explique-t-elle la défiance ? Le cas de la réception des résultats du suivi scientifique du loup

Résumé

Le nombre de loups est largement débattu depuis que l'État, en 2004, a décidé d'autoriser l'abattage d'un quota d'animaux, qui dépend notamment de la connaissance de l'effectif de la population de loups sur le territoire français. Cette connaissance est imprécise : le suivi scientifique fournit des chiffres qui varient selon les méthodes. Les résultats de ce suivi sont par ailleurs souvent reçus avec défiance, ou tout au moins avec scepticisme, en particulier dans les milieux de l'élevage. Le présent travail visait à éclairer les rapports entre l'incertitude des résultats du suivi scientifique et la défiance observée. Il s'est appuyé sur une quinzaine d'entretiens, réalisés par Manon Chevalier au printemps 2005, auprès d'éleveurs ovins, de gestionnaires des faunes sauvage et domestique et de biologistes. Ces entretiens ont porté sur l'élaboration du suivi scientifique du loup et sur la réception de ses résultats. Trois méthodes sont conjointement utilisées pour parvenir à une estimation du nombre de loups. Si toutes reposent sur l'existence d'observateurs de terrain formés à la reconnaissance des signes laissés par les loups, elles sont fondées sur des principes différents et elles nécessitent une organisation, des compétences et des instruments spécifiques. 1. Le pistage hivernal vise à déterminer, à partir de l'examen attentif des empreintes dans la neige, un nombre minimum de loups installés dans des zones où leur présence permanente est avérée depuis deux hivers au moins. 2. Les hurlements provoqués ne renseignent pas sur le nombre de loups présents mais ils peuvent livrer des informations sur la présence de jeunes, qui jappent plus qu'ils ne hurlent. 3. La méthode par capture-marquage-recapture (Cmr) requiert l'intervention successive de scientifiques spécialisés. Des biologistes effectuent un tri des poils et des crottes récoltés sur le terrain ; des généticiens identifient individuellement les loups qui les ont déposés ; des biomathématiciens utilisent des modèles statistiques pour parvenir à une fourchette d'estimation de la population de loups tenant compte, aussi, des animaux non repérés. Les différentes méthodes aboutissent ainsi à des résultats divers, que l'on confronte pour éprouver leur validité. La question apparemment simple du nombre de loups renvoie ainsi à une construction administrative et scientifique complexe. L'idée est assez commune d'un rejet de l'incertitude par le public en général et par les éleveurs en particulier, qui exigeraient des résultats définitifs et précis que les scientifiques ne sont pas encore en mesure de fournir. Les propos recueillis indiquent que les éleveurs sont au contraire très conscients de la difficulté à évaluer le nombre de loups et tendent même parfois à la surestimer. Loin d'être toujours décriée ou dénoncée, l'incertitude semble plutôt considérée comme un gage de réalisme et d'honnêteté, à la fois par les scientifiques et par les non-scientifiques. Plus que l'incertitude, c'est l'absence d'incertitude qui est fréquemment montrée du doigt. Les éleveurs se méfient de chiffres présentés à l'état brut, sans explications, nuances ni précautions, parce qu'ils soupçonnent alors l'influence de préférences personnelles, les scientifiques eux-mêmes, les politiques et les médias étant tour à tour suspectés, voire accusés, de substituer à l'incertitude des résultats une conviction qui les arrange. Plus de certitude ne génère donc pas nécessairement plus de confiance. Cela ne signifie évidemment pas qu'il ne faille pas chercher à améliorer la précision des résultats mais que l'on ne peut en attendre une restauration automatique de la confiance. L'incertitude des résultats ne suffisant pas à rendre compte de la défiance observée, nous proposons deux autres pistes d'explication. La première piste d'explication renvoie à l'absence des éleveurs du réseau grands prédateurs, bien que celui-ci soit théoriquement ouvert à toute personne volontaire et alors même que les éleveurs et plus encore les bergers sont considérés comme étant particulièrement bien placés pour fournir des observations. Les entretiens effectués montrent que cet état de fait peut renvoyer, outre à l'ignorance de l'existence du réseau de la part des éleveurs, au poids de la gestion passée du dossier loups. Cette gestion a souvent été perçue par les éleveurs comme monopolisée par des acteurs pro-loups, la présence d'agents d'espaces protégés et d'environnementalistes étant à même de les conforter dans cette idée. Les effectifs minimaux issus du pistage hivernal peuvent également donner l'impression de se situer dans la continuité de tentatives de minimisation de la présence des loups. Plus généralement, certains éleveurs refusent de participer au comptage pour ne pas avaliser la présence des loups et ne pas être instrumentalisés au service d'un objectif qui ne correspond pas à leur métier. Enfin, il faut tenir compte des procédures concrètes du recueil d'informations. L'observateur doit remplir une fiche très précise, permettant de juger de la fiabilité de l'information sur des critères techniques et non sur l'identité de l'observateur. Ces procédures visent à abstraire l'observation de tout le contexte émotionnel qui peut l'entourer et à mettre les différents témoignages sur un pied d'égalité pour les faire entrer dans un calcul. Ce processus peut alors être ressenti comme un déni de reconnaissance de la part des éleveurs pour qui très généralement, l'occasion de l'observation coïncide avec une attaque de leur troupeau. La deuxième piste d'explication du scepticisme manifesté à l'égard des démarches et des résultats du comptage des loups renvoie à la question de savoir qui se trouve véritablement intéressé par la question du nombre de loups. Le nombre de loups paraît en effet un médiocre indicateur pour les deux catégories de personnes les plus directement impliquées dans la controverse. Les naturalistes d'une part sont soucieux du statut de conservation de l'espèce : or celui-ci est moins reflété par le nombre absolu d'individus que par le nombre de meutes (induisant la dynamique de reproduction). Les éleveurs d'autre part sont préoccupés par la pression de prédation sur leurs troupeaux, qui renvoie au comportement qualitatif de l'animal et à la dynamique de la population locale, plus qu'à la connaissance de l'effectif total. Il semble finalement que la pertinence de la question du nombre de loups soit essentiellement défendue par ceux pour qui, comme l'Oncfs, elle vaut précisément parce qu'elle n'entre directement dans les préoccupations d'aucun des partis en présence : estimer le nombre de loups implique en effet de s'abstraire de toute considération partisane afin de construire une information la plus « robuste » possible c'est le principe de l'expertise technique : cette information, même incertaine et approximative, constitue alors un référent technique et neutre susceptible d'apporter un supplément d'objectivité au débat et à la décision politique. Au terme de ce travail, l'incertitude n'apparaît donc pas comme seule responsable de la défiance manifestée à l'encontre des résultats du suivi scientifique du loup. C'est même au contraire le manque de prudence et l'absence d'expression de doutes qui pose problème, dans la mesure où ils sont attribués à une assurance excessive et déplacée, voire à des tentatives de récupération militante des chiffres. Il importe alors de compléter cette enquête exploratoire, à la fois en élargissant l'échantillon enquêté et en approfondissant certains aspects, comme celui de la circulation matérielle des textes sur le nombre de loups au sein des réseaux d'acteurs impliqués.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-02586944 , version 1 (15-05-2020)

Identifiants

Citer

Isabelle Mauz, C. Granjou. L'incertitude scientifique explique-t-elle la défiance ? Le cas de la réception des résultats du suivi scientifique du loup. irstea. 2005, pp.26. ⟨hal-02586944⟩

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